mercredi 24 juin 2009

Je lis donc je suis

J'observe en ce moment sur les blogs et dans la presse une tendance très nette à parler des livres, de ceux qu'on lit, de comment et pourquoi on les lit, etc., et j'en suis arrivée à me poser cette question : en ces temps troublés, la lecture est-elle devenue la dernière valeur refuge ? Personnellement, quand je déprime, je me plonge dans le sommeil et je m'évade dans les livres. Dans un cas comme dans l'autre, j'oublie tout, je suis ailleurs, plus rien ne m'atteint. Pour autant, je ne sais pas si je suis une lectrice compulsive telle que se décrit Pierre Assouline dans un article paru dans le Monde 2 de samedi dernier et sur son blog. Comme ces gamins qui dès qu'ils commencent à déchiffrer leurs premiers mots, lisent l'étiquette du paquet de Benco. Ou comme le chroniqueur lui-même qui dit lire les notices d'utilisation de l'ascenseur quand il en prend un. C'est vrai que je pourrais faire mien le "jamais sans mon livre" d'une ancienne émission de PPDA. Quand je prends le bus, le métro, le train, l'avion, quand je sais que je vais devoir patienter dans une salle d'attente, j'ai toujours un livre de poche ou un magazine roulé dans mon sac. Pourtant, je peux rester des semaines sans lire, quand tout me tombe des mains, quand la pile sur ma table de nuit augmente sans que rien de ce qui est dessus et que j'ai pourtant moi-même élu, ne me tente. Dans ces périodes-là, je butine, pioche des articles à droite et à gauche dans la presse, surfe sur la blogosphère, fais des mots-croisés, ou bien j'écris. A d'autres moments, je lis - des livres, des vrais - de façon quasi frénétique, souvent par série. Tous les Jane Austen, tous les Rougon-Macquart, toutes les mémoires du Castor, de la jeune fille rangée à la femme dans la force de l'âge, ou la bio-pavé de Victor Hugo par Max Gallo... Ou alors, je pars sur les traces de mes enquêteurs préférés, j'accompagne Dave Robicheaux dans le bayou d'Atchafalaya, Harry Bosch à L.A, Kurt Wallander en Scanie, Pepe Carvalho sur les ramblas, Erlendur en Islande... Savoir que j'ai six ou sept bouquins qui m'attendent me rassure, comme si, tel Sisyphe, je roulais ma pierre indéfiniment et, ce faisant, j'éloignais la Camarde. Attends un peu, ma vieille, tu vois bien que je n'ai pas fini de lire, repasse plus tard...

vendredi 19 juin 2009

Qu'elle était verte mon agence


Cette semaine, j'ai déjeuné avec mes ex-collègues. Pour l'une d'elles, c'était son dernier jour à l'agence. La greffe n'a pas pris et elle a choisi de retourner chez son ancien employeur. Heureusement pour elle, elle avait pris un congé sabbatique avant de tenter l'aventure de la pub. Pour rappel, mon poste a été supprimé et j'ai fait l'objet d'une procédure de licenciement économique. Bien sûr, le travail que je faisais, même au ralenti, ne s'est pas arrêté par miracle. J'ai donc appris par mes collègues qu'un mois à peine après mon départ, j'ai été "remplacée" par une stagiaire sortie de l'Ecole Supérieure de Commerce cette fois (jusqu'où va se loger la vanité de mes ex-patrons !). Je ne vais pas reprendre le couplet du stagiaire-kleenex, je l'ai déjà chanté. Je note cependant que mon infortunée remplaçante s'est entendu dire que oui, bien sûr, c'était la crise, mais qu'elle n'allait pas durer éternellement et que si elle s'impliquait vraiment dans l'agence, elle serait prioritaire en cas de création de poste (au regard de la loi, c'est moi qui le suis mais c'est un détail qu'ils ont semble-t-il oublié). Non, mon propos aujourd'hui est tout autre. Mes collègues m'ont rapporté que parmi les missions qui lui ont été confiées, elle est censée proposer des pistes pour inscrire l'agence dans une démarche de développement durable. Wouaouh ! La trouvaille ! Car comme l'a relevé très bien ma collègue en partance : "Rappelle-moi quand tu as vu Y. descendre une poubelle la dernière fois ?" Sans compter qu'une semaine avant mon départ, il n'avait toujours pas compris que les bouteilles vides ne se mettaient pas dans le sac jaune des papiers. Ce type, c'est un autiste de la vie en communauté et le degré zéro de la prise de conscience environnementale. Oui, mais c'est un malin, et il a dû sentir dans les nombreux réseaux où il grenouille pointer la tendance (pas besoin d'avoir le nez de Cyrano pour ça en ce moment) au green washing. Il se dit que ça a marché aux Européennes, ça pourrait marcher avec quelques clients (oui mais alors fraîchement débarqués de la planète Mars) qui auraient besoin d'une campagne de pub éthique et biodégradable. On connaissait les patrons voyous, voici venu le temps des patrons faux-culs !

lundi 15 juin 2009

My Dearest Ms Austen

Permettez-moi, Miss, de m'adresser à vous comme à une amie tant il me semble vous connaître, vous dont on sait si peu de choses. Curieusement, je vous ai découverte tardivement, dans un avion survolant l'Atlantique. Je lisais avec délice un livre d'un écrivain beaucoup plus jeune que vous, David Lodge. Votre compatriote mais non contemporain faisait échanger leur poste à deux universitaires, l'un typiquement britannique et l'autre californien jusqu'à la caricature, le temps d'une année scolaire. Leur seul point commun : être spécialistes de votre œuvre, Miss. Vous avoir lue n'était pas un pré-requis pour apprécier la trilogie sur le sujet de D. Lodge mais passer à côté eut été dommage, en ce qui me concerne. Car dès le premier de vos romans que je choisis de lire, "Emma", je devins une fan. J'enchaînai avec "Raisons et Sentiments", "Orgueil et Préjugés", "Mansfield Park", "Northanger Abbaye", "Lady Susan" (un court ouvrage que votre éditeur français a opportunément ressorti récemment) et mon préféré, "Persuasion", publié par votre frère après votre disparition prématurée. Votre œuvre, malheureusement trop brève, Miss, a été régulièrement adaptée au cinéma et à la télévision, deux médias dont malgré votre imagination alerte, vous n'auriez pu rêver. Bref, pour la fête des mères, ma fille m'a offert l'adaptation de "Pride and Prejudice" par la BBC, une institution presqu'aussi fameuse que vous outre-manche. En six épisodes de 50 minutes, je puis vous assurer que votre prose est respectée à la lettre. Et, last but not least, on y découvre dans le rôle de Darcy, Colin Firth, un jeune homme dont la description que vous faites de Mr Darcy, "fine person, handsome features, noble mien" semble avoir été écrite pour lui. Le hasard faisant bien les choses, nous avons passé le dernier week-end dans la propriété d'amis très chers (pas dans le Derbyshire, dommage, mais dans une belle région tout de même) dont la maîtresse de maison, anglophile distinguée, possédait une vieille édition de "Pride and Prejudice". Ne vous ayant jamais lue dans le texte, je la lui ai donc empruntée. Quelle merveille de découvrir votre œuvre dans sa version originelle, Miss ! Je tenais à vous l'écrire et vous en remercier. Yours ever.
PS : Ma fille Charlotte qui vous apprécie énormément elle aussi, aimerait savoir pourquoi dans vos romans les personnes qui portent son prénom sont toujours aussi sottes.

samedi 13 juin 2009

Une vie (III)

La petite fille, bien sûr, c'est moi. J'ai eu de la chance de ne pas perdre mon père ce jour-là, et que plus tard mes parents me donnent un frère, de deux ans et demi mon cadet, puis quand j'ai eu 9 ans, une petite sœur. Papa a fait toute sa carrière dans l'armée de terre. Je suis née fille de caporal-chef et c'est au bras d'un colonel que j'ai marché vers l'autel lors de mon premier mariage.

Je suis très fière de mon père et pourtant, être fille de militaire quand on était adolescente dans les années 70, ce n'était pas évident. Je me souviens d'une manif du lycée où, avec un copain fils de commissaire de police, nous nous sommes cachés quand on a vu le photographe du journal ! Mon père n'était pas très présent pendant notre enfance. Il travaillait beaucoup, partait souvent en missions ou en manœuvres.

Nous avons aussi pas mal bourlingué mais toujours en France. Papa pensait que les séjours outre-mer ou à l'étranger nuisaient à une bonne scolarité. Pourtant moi, Djibouti, Papeete, et même Constance, ça me faisait rêver ... Maman était toujours là, présente, aimante, résolument positive. Elle faisait et défaisait des cartons, raccourcissait ou rallongeait les rideaux, au gré des mutations. Et puis, l'armée était une grande famille où l'on s'aidait beaucoup.

Mon père est revenu à la vie civile en 1983 et a pris sa retraite à Montpellier, sa dernière affectation. C'est là qu'il vit toujours avec sa Pierrette, plus de 50 ans après, et tout près de sa benjamine. Ils nous ont "semés", mon frère et moi, à l'avant-dernier point de chute, Bordeaux. Lui y est resté, et moi j'ai continué à rouler ma bosse un peu partout.

Aujourd'hui, Dominique chante dans deux chorales, dont une en basque. Il est abonné depuis quarante ans au "Miroir de la Soule" et assiste de temps en temps au banquet des anciens de Saint-François. Sa santé est bonne, il marche, voyage beaucoup avec Maman, fait des tournois de tarot, et a une chance insolente au jeu. Mais pas encore au loto sur les grilles duquel, invariablement, il coche les jours de naissance de ses huit petits-enfants.

Ah, j'oubliais, Dominique a 75 ans aujourd'hui. Bon anniversaire, Papa !

vendredi 12 juin 2009

Une vie (II)

En 1954, Dominique embarque pour le Maroc, puis ce sera l'Algérie. Une drôle de guerre qui ne dit pas encore son nom le rattrape comme tant de jeunes gens de cette génération. Mais lui s'est engagé, il est caporal. La vie joue de drôle de tours. Lui, le jeune Basque qui aurait pu passer sa vie au pays, va rencontrer le grand amour en Oranie où son régiment est cantonné.

Elle est brune, pleine de charme et c'est la fille de la libraire-buraliste. Dominique est toujours partant pour aller acheter les cigarettes de toute la section... La jolie brunette n'est pas libre, elle est fiancée à un ami d'enfance mais lui comme elle sont très vite sûrs de leur amour. Avant de repartir, Dominique obtient de Pierrette la promesse qu'elle l'attendra, et c'est ce qu'elle fera après avoir rompu ses fiançailles.

En octobre 1956, quand ils se marient, ils réalisent qu'ils ont en tout et pour tout passé un mois à "se fréquenter". Mais la guerre est là qui n'attend pas. Dominique doit repartir, laissant sa jeune femme bientôt enceinte de leur premier enfant.

Le 15 août 1957, Dominique est en permission mais trop loin pour rejoindre sa femme. Il décide de partir en goguette avec trois copains dans la 2 CV de l'un d'eux, Raymond T. Au moment de monter dans la voiture, Dominique aperçoit un curé en soutane. Et, à la stupéfaction de ses copains, il décrète que c'est le 15 août et qu'il n'a jamais raté une messe ce jour-là. Les copains ont beau insister, se moquer de lui, rien n'y fait, son crâne de Basque est aussi dur que les cailloux charriés par le Gave de Mauléon. Il renonce à la virée.

Dans la soirée, il apprend que les copains sont tombés dans une embuscade dont ils n'étaient pas la cible mais les infortunés témoins, des victimes collatérales comme on dirait aujourd'hui... Aucun n'échappe au massacre. La Sainte Vierge y est-elle pour quelque chose ? Dominique ne veut pas le savoir, il est trop malheureux, mais ce dont il est sûr c'est qu'il ne manquera jamais plus aucune messe du 15 août.

A l'autre bout de l'Algérie, une petite fille qui n'est pas encore née ignore qu'elle a failli ne jamais connaître son père...
(à suivre)

jeudi 11 juin 2009

Une vie (I)

Le 13 juin 1934, dans une solide bâtisse surplombant la Nive, un beau bébé pose pour la première fois son regard bleu sur le monde qui l'entoure. La maison familiale maternelle où il naît se situe juste avant le pont qui sépare Ispoure de sa fière voisine Saint-Jean-Pied-de-Port, dernière étape avant les Pyrénées sur la route de Compostelle. Ispoure ne verra pas longtemps grandir le petit Dominique, prénommé ainsi comme tous les aînés de la famille du côté de son père.

C'est en effet dans une autre province basque, la Soule, berceau de sa famille paternelle, que Dominique va passer toute son enfance. Son père, Pierre, petit dernier d'une famille de 13 enfants, est cheminot, sa mère, Marie-Anne, reste à la maison. Deux ans et demi après lui, naît un deuxième garçon, Jean. Son grand-père est agriculteur dans un village montagnard de 450 âmes au nom rocailleux, Aussurucq. C'est là que la famille s'installe lorsque la guerre éclate.

Selon la légende locale, les Allemands n'atteindront jamais ce petit village souletin. Un pont en contrebas que les résistants ont opportunément fait sauter, les aurait empêchés de poursuivre leur avancée... On vit chichement mais entre paysans, on s'entraide. Une tante tient aussi le débit de boisson, tabac, épicerie du village, et c'est la marraine de Dominique, son préféré. Les enfants ne parlent que le basque, jouent au fronton et dans les champs, leurs journées seulement ponctuées par les passages obligés à l'école et à l'église.

Après la guerre, la famille s'installe à Mauléon, le chef-lieu de canton, où Marie-Anne travaille un temps à la fabrique d'espadrilles. Dominique et Jean vont au collège Saint-François. Un jour où il se bagarre avec un de ses camarades, un professeur en soutane intervient, sépare les deux garnements en les tirant par les oreilles, et les admoneste : "Vous n'avez pas honte, vous êtes cousins !" Dominique et Simon E., même nom mais originaires de deux vallées différentes, ne se connaissaient pas.

A 16 ans, brevet en poche, Dominique part à Bordeaux vivre chez une sœur de sa mère. Il travaille comme serveur au marché des Capucins, le "ventre de Bordeaux". Il se lève tôt, travaille très dur, et rêve d'ailleurs. Il décide alors de s'engager dans l'armée. Il a 19 ans, sa vie d'homme commence.

(à suivre)

jeudi 4 juin 2009

Oh les beaux jours

Avec l'âge, je deviens philosophe. J'ai appris qu'en Bretagne, quand le beau temps est là, il convient d'en profiter, et vite. Hier matin, BrB m'a fait remarquer que le week-end prochain s'annonçait pluvieux avec une baisse de température avoisinant les 10°. J'ai observé le ciel, bleu, sans un nuage, tâté l'air (24° !) et appliqué sur le champ le vieil adage selon lequel ce qui est pris n'est plus à prendre. Notre "fille allemande" venait juste d'arriver de sa Bavière natale pour passer quelques jours avec nous, et ses yeux ont brillé quand je lui ai exposé notre plan. Nous avons tout lâché, enfilé nos maillots, mis nos serviettes dans le capazo (un de mes lecteurs au moins comprendra) et mis cap vers la mer. Entre Saint-Malo et Cancale, à une encablure de Saint-Coulomb, se niche une plage de rêve. On se croirait en Méditerranée, n'était la température de l'eau. Même si nous sommes sur la Côte d'Emeraude, la Manche y est turquoise (et je ne "galège" pas), le sable blanc ... c'est magnifique ! Comme je suis partageuse, je vous livre mon coin secret (c'est comme pour les champignons, les belles plages, on se les garde...), ça s'appelle La Guimorais. Nous étions mercredi et quelques parents avaient dû poser une RTT pour profiter de l'aubaine. De très jeunes enfants plongeaient et replongeaient en riant aux éclats, à cet âge, ils n'ont jamais froid. Les adultes étaient moins hardis sauf quelques mamies qui faisaient trempette, c'est bon pour la circulation. Lena et moi sommes rentrées dans l'eau jusqu'à la taille mais pas au-dessus, n'exagérons pas. Puis elle s'est barbouillée d'écran (presque) total, moi d'accélérateur de bronzage (sinon j'ai l'air d'une endive quand j'arrive dans le Midi) et nous n'avons plus rien fait pendant deux heures trente. Divin ! Enfin, si, j'ai fait un tiers du mots-croisés du Télérama de la semaine puis je me suis assoupie. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, les sommes sur la plage sont les meilleurs de tous. Après, j'ai lu quelques pages des Poneys sauvages de Michel Déon, que je relis une fois tous les dix ans. En levant le nez de mon bouquin, j'ai regardé la mer azuréenne, je me suis cru un instant à Spetsai dans les îles Saroniques, mais non, j'étais juste à une heure de Rennes, un 3 juin.