lundi 29 avril 2013

Dos Gardenias para ti (V)

Je m'aperçois que si j'ai un peu raconté la vie de ma grand-mère, j'ai très peu parlé d'elle. Ce n'est pas chose facile que d'évoquer les personnes qui vous sont chères, je vais m'y essayer même si la mémoire est forcément sélective et l'amour, un filtre à l'objectivité...

Ma grand-mère et moi avons toujours eu des relations privilégiées, j'étais sa première petite-fille et pendant une dizaine d'années, la seule au milieu de trois garçons. L'année de mes 18 ans, j'ai passé un mois avec elle à Alicante, j'ai raconté ici un jour une anecdote qui donne une idée de quel genre de grand-mère elle était. Plus tard, elle est souvent venue me voir à Paris quand j'étais célibataire, un peu moins quand j'ai fondé une famille.

Le principal trait de caractère qui me vient à l'esprit quand je pense à elle, c'est sa drôlerie. Elle est sans doute la personne au monde qui m'a fait le plus rire. Elle racontait tout le temps des blagues, souvent en espagnol, pas toujours très fines mais qu'elle mimait avec tellement de grâce et de malice qu'elles en étaient irrésistibles. Irène n'avait pas fréquenté l'école, elle était presque illettrée, et lisait surtout l'Almanach Vermot.

J'ai gardé une boîte sur le couvercle de laquelle on peut lire en écriture bâton : "les foulare". Moi qui suis une maniaque de l'orthographe, je suis toujours émue quand je tombe par hasard sur cette inscription malhabile, et qui me fait mesurer ma chance d'être instruite. Elle pouvait s'avérer dure aussi. Maman a passé trois ans dans la classe de certificat d'études en attendant l'âge légal (14 ans à l'époque) de quitter l'école.

Son institutrice avait intercédé auprès de ma grand-mère pour qu'elle parte au lycée d'Oran et devienne boursière. Mais Irène n'avait rien voulu savoir. Un jour où adolescente, je lui "demandais des comptes" face à ce qui me semblait une injustice profonde, elle s'écria : "Mais ta mère c'était ma tête, mes bras, j'avais trop besoin d'elle au magasin, je ne pouvais pas la laisser partir !".

Quand j'allais voir ma grand-mère dans sa maison de Bernis, je faisais l'esthéticienne pour elle. Je lui enlevais les points noirs, les poils superflus, lui faisais un "nettoyage de peau" au citron et à l'huile d'olive. Elle se laissait aller, et me murmurait : "Que manos mas dulces..."

Ma grand-mère avait une très jolie voix, cristalline, juste. J'adorais quand elle chantait "Besame, besame mucho" ou "Dos Gardenias para ti". La première fois, quelques années après sa mort, où j'ai entendu la grande chanteuse cubaine Omara Portuando l'interpréter avec le Buena Vista Social Club, je me suis surprise à pleurer toute seule devant ma télé. Aujourd'hui encore, l'écouter me fait le même effet ...

Fin

jeudi 25 avril 2013

Dos Gardenias para ti (IV)

La petite fille, c'est moi !
Après la disparition de François, Irène hésita à rejoindre Raymonde à Paris. Procesa, la sœur si proche et si présente, était morte à 43 ans d’un cancer, suivie de ses parents en 1952 et 1954, Irène avait la quarantaine et plus grand chose ne la retenait dans cette Algérie qui commençait à s'agiter.  Maman, qui avait 18 ans à la mort de son père, a toujours pensé que la famille aurait pu alors repartir d’un bon pied. 

Mais ma grand-mère prit tout le monde de court en se remariant très vite après son veuvage à Antonio, le parrain de Petit Pierre. Par la suite, il deviendrait pour nous, les petits-enfants, "Pépé Antoine". Plus âgé qu’Irène de quatorze ans et somme toute assez ennuyeux, il représentait pour elle la sécurité car il avait de l’argent et des biens. Chose qui ne leur servit pas tellement par la suite : étant sujet espagnol, il ne put prétendre à aucune indemnisation de la part de l'état français après l’indépendance

Ses deux filles mariées et vite mamans, Irène quitta l'Algérie comme tant d'autres au début des années 1960 et s'installa avec Antoine et Petit Pierre dans un petit village du Gard. Cette maison est indissociable de mon enfance. Nous y passions une partie des vacances, et j'ai des souvenirs de noëls où tout le monde chantait. Que de fous rires lorsque nous nous lancions dans des canons sous la direction de mon père !

Quant à mon cousin Francis, il rentrait de son pensionnat avec toujours quelques bonnes blagues à raconter. De temps en temps, on nous expédiait mon frère, mon cousin Jean-Mi et moi à la "remise" où nous inventions toutes sortes de jeux idiots comme tous les enfants de ma génération ont pu en faire, loin des yeux de parents bien contents de ne pas nous avoir dans les pattes.

Les soirs d'été, nous prenions le frais dehors, comme "là-bas". Mes grands-parents avaient également un grand appartement à Alicante, où ils passaient une partie de l'année et où nous allions parfois les retrouver l'été. En 1972, Antoine mourut, et Irène se retrouva une fois de plus seule et maîtresse de sa vie ...  
A suivre ... 

jeudi 18 avril 2013

Dos Gardenias para ti (III)


Pour subvenir à ses besoins et à ceux de son bébé, en l’absence de son mari, Irène s'installa chez sa sœur Procesa et confia Juliette à ses grands-parents paternels jusqu'à ses 6 ans. Ma grand-mère fit alors preuve d’une hardiesse incroyable pour l’époque quand, apprenant un jour qu’une petite épicerie était à vendre, elle prit son courage à deux mains et alla trouver son beau-père dans un café où il faisait une partie de cartes ou de dominos.

En ce temps-là, les femmes n’entraient pas dans ces lieux réservés aux seuls hommes. Mon arrière-grand-père était un homme juste, il l’écouta et lui prêta la somme nécessaire. A partir de ce jour-là, et bien qu’elle travaillât tous les jours par la suite, sa vie changea. Un jour, François finit par rentrer. Son retour tenait du miracle, ma grand-mère ayant dû lui envoyer un mandat à Marseille pour qu’il puisse prendre le bateau. Il était déjà brûlé par l’alcool et la cigarette dont il mourra prématurément en 1953 à l’âge de 48 ans.

Pour l’heure, il était bien là, reprenant sa vie de débauché, sans travailler, se servant dans la caisse de l’épicerie, puis de la librairie. En 1940, ma grand-mère avait en effet acheté sa librairie Hachette et bureau de tabac qui devait la rendre si populaire parmi les Saladéens, puis plus tard les militaires (dont mon père) venus acheter journaux et cigarettes. Irène trouva alors dans son commerce une consolation à ses soucis personnels.

En octobre 1943, malgré sa mauvaise santé, mon grand-père donna un autre enfant à sa femme, ce garçon tant voulu par Irène, et qu'elle appela Pierre. Séparé de 11 et 8 ans de ses grandes sœurs Juliette et Pierrette, et portant le même prénom que son grand-père paternel, il devint pour tous « Petit Pierre » et reçut pour parrain un homme qui devait avoir son importance par la suite, un métayer espagnol, ami de François mais plus sérieux, prénommé Antonio.

A suivre ...

dimanche 14 avril 2013

Dos Gardenias para ti (II)



Irène avait 17 ans, elle était très belle, et c’est comme ça que le beau François la remarqua. Contrairement à ceux d'Irène, ses parents étaient ce qu'on pourrait qualifier de nantis. Eux aussi d'origine espagnole mais d'Andalousie, ils étaient tous les deux nés en Algérie, lui en 1877 et elle en 1879, et faisaient partie de ces colons qui vivaient confortablement dans ce département français d’outre-mer. 

Mon arrière-grand-père était courtier en vin et possédait également à Rio Salado un dépôt de carburant. Maman se souvient que chez eux, on écoutait de la grande musique et des airs d’opéras sur un gramophone. Les quelques photos jaunies de cette époque attestent de leur distinction. Ils avaient trois enfants, Manuel, François et Juliette. Ses parents avaient acheté à leur cadet un garage, où il travaillait quand il rencontra la jolie Irène.

Pour mieux comprendre la portée de cette mésalliance, il faut avoir à l’esprit ce que sa belle-sœur répondit à ses amis qui lui demandaient qui François allait épouser : « une bonniche ». Dans les contes de fées, les fils de rois épousent parfois les bergères mais en général, c’est parce qu’ils en sont tombés fous amoureux. Jusqu’à la fin de sa vie, ce sera d’ailleurs la seule version que ma grand-mère soutiendra.

Pourtant, les années qui suivirent ne semblent guère lui donner raison. Toujours comme dans les contes, ils auraient pu se marier, avoir de beaux enfants et vivre heureux. Mais il faut croire que ce n’était pas leur destin. A peine neuf mois après leur mariage, ma grand-mère accoucha à 19 ans de sa première fille, Juliette. Puis, trois ans plus tard, d'une autre petite fille, Pierrette, ma mère.

Mon grand-père avait déjà depuis longtemps cessé de réparer des voitures préférant les cafés et les parties de cartes avec ses copains de bamboche. Puis, début 1935, ignorant que sa femme était enceinte de ma mère, il partit en Espagne s'engager dans la guerre qui venait de commencer entre franquistes et républicains...

A suivre ...

samedi 13 avril 2013

Dos Gardenias para ti (I)


Ce 13 avril, ma grand-mère Irène aurait eu 100 ans. Mais cela fera 15 ans demain qu'elle nous a quittés. Ma grand-mère était née à Prudon, en Algérie, à l'époque où celle-ci était française. Sa famille avait quitté la province de Valencia en Espagne à la recherche d'un ailleurs plus clément. Je ne sais pas très bien ce que faisait mon arrière-grand-père, je crois qu’il allait là où l’on avait besoin de bras, d’où les fréquents déplacements de sa famille. 

Cinquième de la fratrie, ma grand-mère fut la première à naître sur cette terre d'Afrique du Nord. Il me faut ici raconter une anecdote à propos de sa naissance. Les frères et soeurs de ma grand-mère avaient tous des prénoms espagnols, Evaristo, Alejandro, Procesa et Remedios (qui plus tard, se fera appeler Raymonde). 

Elle-même aurait dû s’appeler Incarnación et ne doit son prénom qu’à l’audace de sa jeune marraine qui, chargée de la déclarer à l’état civil sous ce patronyme peu flatteur, décida au dernier moment de lui donner un prénom en vogue, Irène. Il paraît que mon arrière grand-mère, "l'abuela", connue pour être un vrai dragon, entra dans une colère folle quand elle l’apprit. 

Mais le prénom lui resta. A cette époque, dans les familles pauvres d’Algérie comme d’ailleurs, les enfants travaillaient très jeunes. Je me souviens avoir entendu ma grand-mère raconter qu’à 9 ans, elle lavait les sols (elle disait « le parterre ») chez des riches, dans une salle à manger qui lui paraissait grande comme une salle de bal. Elle eut de nombreux patrons, c’est comme ça qu’elle les désignait, les « patrons », dont certains étaient très gentils avec elle. 

Elle me racontait que l’un d’entre eux, s’étant aperçu de sa maigreur, fit apporter des huîtres à l’office rien que pour elle ! Le dernier employeur qu’elle eut avant de se marier était un dentiste d'Oran pour lequel elle faisait le ménage mais également l’accueil des patients. Dans cette grande et élégante ville, son destin aurait pu être tout autre si sa sœur ne l’avait appelée auprès d’elle lorsqu’elle accoucha de son troisième enfant, à Rio Salado.

A suivre ...

jeudi 11 avril 2013

Un rêve étrange et pénétrant

En général, je n'aime pas que l'on me raconte un rêve. Je parle là des rêves quand on dort, bien sûr. Ceux que le Petit Larousse définit ainsi : "Production psychique survenant pendant le sommeil et pouvant être partiellement mémorisé."

Ma mère adore interpréter les rêves, elle a sur sa table de nuit un petit livre titré "La clé des songes", sorte de lexique associant un mot à une interprétation. Comme par exemple, rêver que l'on perd une dent est censé annoncer une mort. Avant d'écrire ce billet, je me suis promenée sur la toile où les sites sur le sujet sont légion et plus ou moins farfelus.

Là n'est pas mon propos. Je voulais parler ici d'un rêve récurrent pour ne pas dire le seul rêve dont je me souvienne au réveil, toujours le même avec des variantes. Je me rends quelque part sans problème, et au retour, je ne retrouve pas mon chemin. Si je suis dans un cadre urbain - je rêve souvent de grandes cités dortoirs ou de villes nouvelles - soudain, les rues, les cages d'escalier, les escalators se ressemblent tous. Si je suis à la campagne, une falaise que je n'avais pas vue à l'aller se dresse devant moi et m’empêche d'avancer. Je n'ai pas l'impression de paniquer, non, juste de devoir trouver un autre moyen de rentrer et ce, pendant ce qui me semble durer des heures.

Si je raconte cela aujourd'hui, c'est qu'hier, pour la première fois, je me suis perdue non pas au retour mais à l'aller. J'avais une adresse, une heure de rendez-vous, celui-ci était important pour moi, j'avais préparé à l'avance mon itinéraire mais le moment venu, impossible de m'orienter. Je me suis réveillée avant de savoir si j'étais finalement arrivée à bon port. Cette fois, nul besoin de livre ou de site pour interpréter ce que mon inconscient m'a soufflé. Je suis en passe de changer encore une fois de vie professionnelle - j'y reviendrai - c'est un gros challenge pour moi à ce stade de ma vie, et un rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte...


jeudi 7 février 2013

Epreuves écrites

Ça fait tellement longtemps que je ne suis pas venue ici, je me sens toute empruntée. Je fais d'abord un tour chez les copinautes, selon le joli mot de ma chère Marie-Ange, chez qui tout est si joli .... Je vois que Liwymi n'écrit plus rien, que Mab est toujours là, fidèle au poste avec ses petits riens de tous les jours qui nous la rendent si précieuse. Heure-bleue rouspète toujours un peu, Valérie raconte toujours aussi bien, tiens, Hermione est revenue.

J'adore ce qu'elles écrivent ces deux-là. On a le même âge, des enfants du même âge, on ne se connaît pas pour de vrai, comme on disait quand on était petites mais j'ai l'impression que je les connais depuis toujours. Ce qu’Hermione dit de ce petit garçon frigorifié dans son anorak trop mince croisé un matin glacial d'hiver, oh comme j'aimerais l'avoir écrit ! C'est simple, c'est beau...

Quand je vois tout ce qui se publie de nos jours, nul, mal écrit, bâclé, facile, pourquoi les éditeurs ne se baladent-ils pas plus souvent sur les blogs ? Mais je m'égare. Et toi, me direz-vous ? Qui, moi ? Oui, toi la paresseuse, es-tu atteinte du syndrome de la page blanche ? Non, même pas. Au contraire, j'écris de plus en plus, mon écran est devenu mon horizon, les touches de mon clavier un prolongement de mes doigts.

Mais j'écris sur commande, des articles, des contenus, comme on dit maintenant, du bien calibré, 1500-signes-espaces-compris-hors-titres-et-intertitres, 625 mots, pas un de plus pas un de moins. Une pisse-copie. Parfois à la faveur d'une mission plus intéressante, me voilà parachutée rédactrice-en-chef, dirigeant du bout de mon crayon rouge un orchestre de pigistes, d'infographistes, de photographes.

Ou bien, tâchant de réécrire en bon français des traductions de textes anglais. Bref, écrire est devenu mon gagne-pain (et il faut beaucoup de textes de 1500 signes croyez-moi, pour gagner son pain quotidien ...). Alors, ne m'en voulez pas si le soir, j'ai du mal à venir ici vous lire, vous commenter ... et écrire juste pour vous.