jeudi 28 août 2008

Un jour, une photo (7)

Comme l'a si justement remarqué Karmara, mon choix de photos s'est plutôt porté sur des portraits de jeunes filles. C'est vrai que je suis sensible à la condition des femmes et des enfants dans le monde et que certaines situations me touchent plus que d'autres. Donc, pour faire plaisir à Karmara, et aussi à Bérangère de retour parmi nous après deux mois (!) de vacances (on se souvient de sa description émue d'un certain jeune éphèbe métissé), je conclue ma série par ce visage extraordinaire. Je suis sûre qu'à présent vous mourez d'envie d'en savoir plus. D'abord, un détail qui a son importance, ce portrait était gigantesque dans la salle des Ateliers des Forges d'Arles où nous l'avons vu. Déjà comme ça, c'est impressionnant, alors trois mètres sur deux, vous imaginez ! Ensuite, son auteur, Pierre Gonnord, est un français, - cocorico ! - même s'il a choisi de vivre à Madrid (c'est une manie chez les photographes de s'expatrier, on dirait). Certains critiques ont comparé ses portraits aux tableaux du Caravage ou de Murillo, excusez du peu. Moi, peut-être parce que j'ai visité le Prado pour la première fois cette année, j'ai pensé au Greco. Vous savez ces gentilshommes caballeros, au visage émacié, austères dans leur costume noir surmonté d'une fraise. Ou aux nains grimaçants des tableaux de Vélasquez. Pierre Gonnord cherche des "gueules". Il les trouve parmi les gitans d'Andalousie, les immigrés d'Europe de l'Est qui vivent d'expédients et, d'une manière générale, chez les marginaux de tout poil. Il raconte qu'un jour, en banlieue, il a interpellé un jeune beur au physique "à part" et que celui-ci a détalé comme un lapin. Avec ses cheveux ras et son blouson, il l'avait pris pour un flic ! Bon, assez parlé, je vous laisse plonger votre regard dans les yeux de braise de ce bel Adonis...

mercredi 27 août 2008

Un jour, une photo (6)

Nous avions découvert l'univers si particulier de Vanessa Winship, au printemps dernier, lors du festival Photo de Mer à Vannes. Cette photographe anglaise qui vit aujourd'hui en Turquie, y présentait son travail sur les mythes de la Mer Noire, cette mer sans marées contre laquelle butent souvent les populations déplacées des Balkans. Aussi, ce fut une bonne surprise de la retrouver en Arles, où elle donnait à voir une autre série de photos joliment intitulée "Sweet nothings". Elle y met en scène des écolières, dans le cadre d'un programme d'alphabétisation de l'état turc dans des régions reculées d’Anatolie orientale. Celles-ci sont donc venues poser pour elle, seules, ou accompagnées d'une sœur ou d'une amie, mais toujours vêtues de leur traditionnel uniforme d'écolière, une robe bleue marine au col de dentelle. Le décor est volontairement dépouillé, on y devine parfois en toile de fond une cour d'école en terre battue ou le coin d'un tableau noir. Tous ces portraits se fondent dans un joli dégradé de gris, avec quelques touches de blanc comme, sur cette photo, celui de la délicate collerette ou des losanges des chaussettes de laine. Expliquant son projet, Vanessa Winship nous dit : « Sur ces terrains inhospitaliers, la vie de ces petites filles est très dure. Consciente de leur situation, j’ai voulu leur accorder de l’importance en les invitant devant l’objectif». Et c'est bien de la fierté qui se lit dans les yeux de ces deux petites soeurs. Mêlée de crainte aussi, sans doute.

mardi 26 août 2008

Un jour, une photo (5)

Il est des regards qui vous happent. Au point d'enfreindre un règlement, celui de ne pas prendre de photos dans une expo. Il s'agit d'un cliché anthropométrique parmi d'autres, un de ceux qui évoquent les pages noires d'une histoire dont on préfèrerait qu'elle n'ait jamais existé. Les Arlésiens qui se pressent en ce moment au Palais de l'Archevêché où une rétrospective en images de leur ville les attend, découvrent pour beaucoup l'existence du camp de Saliers. Dans cette terre de Camargue qui, de tout temps, sut accueillir les gitans, on parqua pendant le gouvernement de Vichy des centaines de tziganes avant de les expédier par wagons entiers dans les camps d'extermination. Mathieu Pernot, un photographe qui a fait là œuvre d'historien, a exhumé ces fiches des archives départementales et recueilli les témoignages de quelques rescapés dans un livre. J'ai eu, il y a quelques années, l'occasion de me rendre à Auschwitz. Sur les murs, là-bas aussi, des tas de photos similaires, de face et de profil. Ce qui me parut terrible alors, c'est que sur certains clichés, plusieurs visages souriaient à l'objectif. Comme s'il fallait donner le meilleur de soi-même. Rien de tel dans cette photo qui m'a littéralement aimantée. C'est un regard franc, direct, presque serein, et qui dégage une incroyable force chez une toute jeune fille. Et une question qui me taraude : comprenait-elle ce qui lui arrivait ?

lundi 25 août 2008

Un jour, une photo (4)

Mais pourquoi les artistes sont-ils presque toujours inspirés par des situations dramatiques ? Prenez le photographe indien Achinto Bhadra qui expose lui aussi aux Rencontres d'Arles. Son travail s'intitule "Another me Transformation de la douleur en force". Il a choisi le diaporama comme medium pour présenter ses portraits de jeunes filles entre 8 et 25 ans abîmées par la vie. Elles se sont mises en scène elles-mêmes dans leur propre représentation de ce qu'elles voudraient être : déesse, policière, businesswoman ... Recueillies par une ONG de Calcutta, elles ont toutes connu des violences diverses : misère, drogue, mariage forcé, prostitution, viol. Pour chacune, une prise de parole : "Je voudrais être Dieu pour aider tous ceux qui ont besoin d'aide comme Dieu m'a aidée" ou, plus étonnant pour nous occidentaux, "je voudrais être cachée par la burqa, parce que j'ai peur de ce qu'il adviendrait si les gens savaient ce par quoi je suis passée, et aussi parce que je suis musulmane".
Ma Zuzu nous accompagnait cette année à Arles, et cette série de portraits l'a particulièrement touchée. C'est en pensant à elle que j'ai choisie cette photo. Pour les couleurs d'abord - des tons chauds comme elle les aime - et aussi pour la grâce de cette jeune fille qui, en dépit des épreuves, semble avoir gardé une part d'innocence que symbolise la poupée qu'elle tient à la main. Aujourd'hui, ma fille a 17 ans. Bon anniversaire, ma chérie. Puisse la vie t'être toujours douce.

dimanche 24 août 2008

Un jour, une photo (3)

Je sous-titrerais bien ce billet d'humeur "foutage de gueule". Cette année donc, les Rencontres d'Arles avaient pour commissaire Christian Lacroix, chose qui nous avait rendus BrB et moi un peu circonspects mais bon, les préjugés sont faits pour être dépassés. De fait, nous avons encore connu de beaux coups de coeur - que j'essaie de vous faire partager toute cette semaine - même si globalement, nous avons été déçus.

Beaucoup d'expos, surtout en centre-ville, tournaient autour de l'univers de la mode, des sources d'inspiration du couturier, de sa vie, de son oeuvre. Un rien hagiographique mais le personnage, s'il n'est pas Lagerfeld, ne brille pas par sa discrétion non plus. Le pompon a quand même été l'accrochage dans l'une des salles du magnifique Cloître St-Trophime, des polaroïds de son ami et Dircom, Jérôme Puch. Depuis quelques années, celui-ci s'auto-photographie en compagnie de mannequins lors des défilés Lacroix.

A part le côté people, quand on reconnaît à ses côtés Kate Moss ou Nadia Auerman (Nadia qui ?), l'intérêt est nul. On voit qu'en 2003, Coco (ou Joanna ou Ivanka) porte les cheveux mi-longs et auburn et qu'en 2006, elle est blonde, coupée à la garçonne, et a peut-être grossi de 300 grammes. Franchement, on s'en fout. Aux risques de paraître très snob, je me suis rappelée qu'il y a deux ans, au même endroit, nous avions eu droit à Koudelka. Ca avait quand même une autre gueule.

samedi 23 août 2008

Un jour, une photo (2)

Sabine Weiss est une très grande dame de la photographie dont on connaît surtout les portraits. Celle de la petite égyptienne, notamment qui fait la couverture de sa biographie, ou celle de la petite Judith qui illustra le "100 photos pour la liberté de la presse" de RSF l'an dernier. Ce que l'on sait moins et qu'on apprend aux Rencontres d'Arles cette année, c'est que dans les années 50, elle accepta une commande parce qu'"il fallait bien vivre". Il s'agissait de photographier à chaque changement de saisons les vitrines du Printemps à Paris. De cette expérience, elle rapporte non sans une bonne dose d'autodérision : "Je photographiais la nuit pour éviter les reflets dans les vitrines pendant que mon mari, qui m’accompagnait, faisait la causette avec les prostituées du boulevard." Cette photo n'est pas celle que j'ai préférée lors de ma visite à l'Espace Van Gogh d'Arles mais la seule que j'aie pu trouver pour illustrer ce billet. Malgré ce travail de commande, la sensibilité de l'artiste est très présente. Notamment, lorsqu'elle photographie un clochard endormi devant une des vitrines dans laquelle elle avait disposé une chaise du Jardin des Tuileries. Par une curieuse illusion d'optique, l'homme semble s'être assoupi sur la chaise au milieu des pimpants mannequins à la taille bien prise. Comme une touche de réalisme brut dans un monde de futilité.

vendredi 22 août 2008

Un jour, une photo (1)

Je l'avais annoncé avant de partir, l'été est propice à la découverte d'expos-photos pour BrB et moi. Donc, cette semaine, je vous propose une image par jour, du moins, je vais essayer. Pour commencer, Montpellier présentait cet été une étonnante rétrospective Weegee. De son vrai nom Arthur H. Fellig, né la dernière année avant le 20è siècle et mort il y a tout juste 40 ans, ce reporter vivait dans sa voiture-bureau. Il captait les fréquences de la police new-yorkaise et était souvent le premier sur les lieux pour shooter, comme on dit maintenant, des scènes macabres de règlements de comptes. La rue était son territoire et, au moment de la Grande Dépression, il s'intéressa aux pauvres hères qui dormaient sous les cages d'escaliers. Le milieu interlope des noctambules l'inspirait aussi, tout comme les cirques, enfin bref, tout ce qui n'était pas politiquement correct. La photo que j'ai choisie, "Coney Island", est époustouflante. A elle seule, elle illustre bien le culot du monsieur. Imaginez, un jour de canicule de juillet 1940, un million de new-yorkais se ruent à la plage. Weegee part en reportage, il veut sa photo mais pas n'importe laquelle, alors il grimpe sur l'escabeau d'un baywatcher (pousse-toi d'là que je m'y mette !), il se saisit d'un porte-voix et crie en direction de la foule qui se retourne comme un seul homme. Combien de visages fixent l'objectif ? Difficile de le dire. Etonnant, non ? comme aurait dit Desproges.