Par où commencer ? Mon histoire personnelle avec l'Algérie a cinquante ans. C'est là que j'ai été conçue, pendant le printemps 57, probablement en Oranie. Je n'ai pas d'autres détails : qui irait poser ce genre de questions à ses parents ? Mon père et ma mère étaient alors jeunes mariés. Ils avaient convolé en octobre 1956 dans une jolie bourgade du département d'Oran après des fiançailles d'un an pendant lesquelles ils n'avaient passé qu'un mois ensemble, si l'on met bout à bout les jours de permission de mon père. Ma mère était une "pied noir", mon père, un militaire engagé de l'armée française. Une guerre qui ne disait pas encore son nom (on parlait des "événements") les avait réunis pour mieux les séparer. Curieusement, je ne suis pas née "là-bas", mais en France (on disait alors la "métropole") où mes parents sont venus passer quelques mois avant de repartir une dernière fois pour l'Algérie. Mon frère, lui, y est né en septembre 1960 et c'est au printemps 62 que nous sommes rentrés définitivement, comme beaucoup de monde d'ailleurs. J'avais à peine quatre ans donc quand j'ai quitté l'Algérie et je mentirais si je disais que je m'en souviens. En revanche, il m'arrive encore maintenant d'en rêver et lorsque je voyage dans certains pays, du Maghreb mais pas seulement, j'en retrouve des sensations, comme des odeurs, des bruits... Une fois, j'étais aux Maldives, assise sur un banc à Malé, la capitale de ce plus petit pays musulman du monde, et j'ai eu comme un flash. Pieds nus dans le sable, sur cette petite place fraîche bordée de bougainvilliers en fleurs traversée furtivement par des femmes couvertes de voiles blancs des pieds à la tête, je me suis revue petite fille dans le jardin public du village de mon enfance.
Mes sentiments à l’égard de l’Algérie sont ambigus. Elle fait partie intégrante de mon patrimoine familial et culturel et en même temps, je sais que je ne peux m'en réclamer en rien. Je suis l’Étrangère. Dans "L’amour, la fantasia", Assia Djebar désigne du terme générique de "la France" les soldats de Napoléon III pendant la conquête de l’Algérie venus enfumer les grottes pour en chasser les résistants ou, plus tard, durant la Guerre d’Algérie, les militaires qui chassaient des douars les villageois susceptibles de sympathie avec les fellagas. Outre que mon père faisait partie de cette armée, en tant que française, je vis mal cet héritage d’envahisseur et d'oppresseur. Du côté de ma mère, c’est plus simple. Sa famille venait d’Espagne, des "petites gens" fuyant la misère au début du 20ème siècle et tentés par ce nouvel "eldorado". Loin donc de cette image d’Épinal du riche colon venu faire "suer le burnous" à des indigènes. Indépendance où pas, ma mère a toujours su qu’elle ne resterait pas sa vie entière là-bas. Elle est donc partie avec sans doute des regrets mais sûrement pas cette tristesse que trimbalent de nombreux pieds-noirs. D’ailleurs, elle y revenue avec mon père en 1988, et jamais je ne les entendus regretter le passé. Au contraire, je trouve qu’ils font montre d'une certaine empathie à l'égard du peuple algérien d’aujourd’hui.
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