Elle s'appelait Marie-Anne Etchemendy. Un nom d'héroïne de roman. C'était ma grand-mère, et je l'ai mal connue. Aujourd'hui, j'ai pris le bus et je suis passée pas très loin de la dernière adresse où elle avait vécu à Bordeaux. Rue Lecoq, juste derrière la caserne des pompiers. C'est bizarre de revenir dans cette ville où une page de l'histoire de ma famille a été écrite. Pendant longtemps, les seules images que j'avais de ma grand-mère étaient celles d'une femme de forte corpulence, gentille, douce et éternellement malade. Malade de la tête, c'est ce qui se disait d'elle. Je suppose qu'elle était bipolaire mais à l'époque, on ne savait pas de quoi elle souffrait. Langueurs, dépression chronique, troubles du comportement. Aussi loin que je me souvienne, je revois le visage de mon père barré de rides soudaines lorsqu'il s'entretenait avec un mystérieux interlocuteur au téléphone. Puis les messes basses que mes parents faisaient entre eux avant les départs précipités de mon père. Tant qu'elle a été capable de vivre seule, dont la dernière fois dans ce petit appartement Bordelais où je lui ai rendu de trop rares visites, il fallait suivre ma grand-mère de près. Parfois, elle errait dans les rues, prenait un train et repartait sur les traces de son enfance. Papa lâchait tout et partait la chercher. Nous, les enfants, nous ne comprenions pas grand chose, juste que notre grand-mère donnait bien du souci à nos parents. Un jour, les grands ont décidé qu'elle ne pouvait plus être laissée sans surveillance et elle est partie vivre chez mon oncle et ma tante à Anglet. Plus tard, on l'a placée "dans une maison". C'est un des rares souvenirs que je garde d'elle. Assise sur un banc, l'air absent, vêtue d'une robe à fleurs en tissu indéfroissable qu'une de ses belles-filles lui avait offerte. Je ne me souviens pas de ce qu'on se disait, à l'époque c'était pour nous une corvée que d'aller la voir les dimanches dans un de ces endroits qui vous filaient le bourdon. Elle est morte l'année de mes 19 ans. D'une encéphalite virale. La tête encore. Je passais des examens et j'avoue que je me rappelle à peine cet événement. Juste que l'ai vue sur son lit de mort et que longtemps, l'image de son masque mortuaire m'a hantée. Aujourd'hui, j'aimerais en savoir plus sur sa vie. Une de ses nièces m'a dit récemment qu'elle se la rappelait plongée des journées entières dans les livres. Au fond, c'est peut-être ça qu'elle m'a transmis, cet amour de la lecture. Il ne reste plus non plus beaucoup de photos d'elle, ni de mon grand-père d'ailleurs. J'aime bien celle-ci, elle s'est effacée avec le temps mais on y devine une famille. Le père, la mère et leurs deux petits garçons, un blond et un brun. J'ignore si Marie-Anne était heureuse à ce moment-là. Je ne saurais jamais si elle l'a été un jour...
Divers.
Il y a 2 jours
8 commentaires:
Je reviens lire attentivement quand les enfants seront partis.
C'est difficile à gérer ces maladies , mais il faut voir la personne qu'elle a été , et on ne traitait pas comme maintenant .
J'ai tout bien lu. C'est fou le pouvoir de ces photos un peu jaunies.
Moi aussi j'ai bien tout lu ...
Elle vit un peu à travers toi ta grand-mère Anne-Marie ...
La mienne, Catherine, aussi, je l'adorais ...
Bisous mélancoliques, mais c'est de circonstance, chère Ppn.
Marie-Ange
Les chandeliers m'ont été offerts il y a longtemps, le Curé est monté au ciel il y a quelques années déjà ...
Je me souviens qu'il y avait aussi un chandelier magnifique avec des lys en porcelaine que j'ai échangé en son temps en brocante ... grrr...
Mes grands-parents, enfin les deux qu'il me reste, se font vieux et je me dis comme toi : finalement, qu'est-ce que je connais de leur vie ? Quand j'étais enfant on ne parlait pas de cela. Et maintenant que je suis adulte je ne les vois plus très souvent...
Moi je n'ai connu qu'un grand-père et la différence d'âge était trop grande, nous n'avons jamais vraiment parlé. Mais j'aurais tant aimé connaître aussi mes grands-mères Marguerite et Alice mortes avant ma naissance toutes les deux. Tu nous pousses à la nostalgie aujourd'hui par ton billet, nostalgie de ceux dont le sang coule dans nos veines et à qui nous ressemblons peut-être sans les connaitre :)
que de souffrances pour ces grands mélancoliques!et les femmes de cette époque parfois qui ne devaient jamais se plaindre! Garde l'image de la femme corpulente, gentille et douce...
J'aime énormément les photos anciennes familiales ou autres. J'ai du mal quand j'en vois à vendre par cartons entiers dans des brocantes. Tous ces visages passés, leur vie immobilisée le temps de la photo et toujours l'interrogation sur leur vie. De toutes façons, connait-on vraiment nos parents, nos aïeux...
Tu sais, on peut refaire tirer de vieux clichés pour les rajeunir et enlever les taches rousses. Je l'ai fait pour certaines photos de famille.
Bonne fin de semaine.
Enregistrer un commentaire