mardi 17 avril 2007

Les yeux pour pleurer

Si l'on m'avait dit, il y a une semaine seulement, que je serais chez moi aujourd'hui au lieu d'être à Alger, je ne l'aurais pas cru. De tous les voyages que j'ai faits dans ma vie, à titre privé ou professionnel, aucun n'a jamais été annulé. Aucun ne m'a tenu autant à coeur non plus. Pourtant, je suis là, victime d'une barbarie moderne qui a pour nom terrorisme mais victime aussi de la frilosité d'une société trop gâtée et trop protectrice, la nôtre.
Mercredi dernier, 11 avril, deux attentats suicides ont frappé la capitale algérienne, faisant 33 morts et 57 blessés. Victimes collatérales, mon mari et moi qui devions partir à Alger, lui samedi et moi dimanche, mais surtout le peuple algérien une fois de plus stigmatisé pour cause de violence. Aujourd’hui, ce peuple est dans la rue pour dire non au terrorisme, et c’est pourquoi j’ai choisi cette photo parue à la une de « El Watan » pour illustrer mes propos. Car la meilleure façon de résister à l’inéluctable n’est-ce pas de continuer à vivre, à aller de l'avant ? Les algériens ont connu une « décennie noire » dans les années 90, où attentats, massacres de civils et répression de l’armée ont fait plus de cent cinquante mille morts. Depuis 2002, le pays sortait la tête de l’eau et ce, malgré un régime politique autiste, une élite corrompue, une jeunesse désabusée et la menace latente d’un extrémisme islamique toujours à l’affût. Entre 2003 et 2006, le PIB a doublé, l’économie - qui repose encore à 97 % (!) sur les hydrocarbures – commençait à se diversifier, les investisseurs étrangers à revenir. La société de mon mari venait d’y gagner un contrat dans la téléphonie mobile et bêtement, je me sentais fière qu’il participe même modestement à ce retour à la croissance. C'est pour voir cela de mes yeux que j'avais prévu de le rejoindre cette semaine. Trois "fous de Dieu" se sont mis en travers de ce projet, et les "ressources humaines" de sa boîte ont fait le reste en s'opposant à notre départ. Nous vivons dans une société où le principe de précaution dirige nos vies. Nous ne pouvons plus fumer dans les lieux publics, les radars nous épinglent si l'on dépasse le 50 km/h en ville, on nous dit ce qui est bon pour nous et ce qui ne l'est pas. Mais n'oublions-nous pas un peu vite que le risque zéro n'existe pas ? En 1995, au moment des attentats du GIA à Paris, nous avons continué à prendre le RER tous les matins pour aller travailler. Devra-t-on demain empêcher nos enfants d'aller étudier dans les universités américaines sous prétexte qu'un forcené peut les mettre en joue ? Hier, en Virginie, c'est pourtant ce qui est arrivé. Une fusillade sur le campus. 33 morts. Autant qu'à Alger.


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