mercredi 15 février 2012

Nostalgérie (3)

Une fois n'est pas coutume, je vais emprunter les mots d'une autre pour raconter ma propre histoire. Josette C. est de la même génération que ma mère et a vécu sa jeunesse dans le même village d'Algérie qu'elle. Pendant un récent séjour chez mes parents, j'ai lu son livre de souvenirs et j'ai recopié - non sans une certaine nostalgie - les passages où elle parlait de ma famille.

Ainsi, à propos de la librairie que tenait ma grand-mère Irène : "Souvent durant ma promenade, mes pas me portaient vers la librairie de Madame Sanchez située sur le Boulevard National. Sa boutique était le palais des mirages de mon adolescence. Avant la rentrée des classes, nous allions avec quelques camarades contempler les trésors qui s'y trouvaient : les plumiers en bois à compartiments au couvercle orné de paysages, les premiers stylo-billes "Bic", les taille-crayons de différentes formes qui récupéraient les copeaux, les ardoises magiques qui s’effaçaient sans éponge, et enfin les cahiers Gallia ou Clairefontaine qui nous accompagnaient toute l'année scolaire avec au verso, les tables de multiplication. Nous prenions plaisir à caresser la première page avant de la noircir ou la bleuir avec les fameuses plumes Gauloise ou Sergent Major".

Témoignage encore plus précieux à mes yeux, Josette évoque mon arrière-grand-mère, l'abuela (prononcer l'aouéla), que je n'ai pas connue, une maîtresse femme selon la légende familiale. "Maman avait acheté au village des étoffes chez Madame Navarro et Monsieur Elbaz, négociants en tissus [...]. Habituellement, une fois les tissus choisis, notre couturière, Tia Remedios, venait à la maison pour confectionner nos tenues mais l'âge faisant, elle fut remplacée par une autre personne qui était très habile pour coudre et faire les finitions des vêtements, mais nettement moins douée pour la coupe et l'essayage."

Plus loin, elle parle d'un de mes "oncles" (en fait un cousin  par alliance de Maman) en ces termes : "En cours de chemin, je récupérais mon amie Lydia Diaz, puis nous partions pour l'école. En passant devant l'atelier de ferronnerie de son père, une gerbe d'étincelles jaillissait de la forge, éclairant par là-même son frère aîné Albert d'une auréole irréelle et magique."

Voilà, ce sont des petites tranches de vie, d'une vie simple aujourd'hui disparue mais quelle chance pour moi d'en avoir eu un petit aperçu. Merci infiniment Josette pour cet inestimable cadeau.

Sur la photo, ma grand-mère, ma mère et mon oncle dans la fameuse librairie qui faisait aussi office de bureau de tabac et "dépôt Hachette".

vendredi 3 février 2012

De ma fenêtre

 
Cher public adoré, comme disait Desproges, je vous ai un peu négligé ces derniers temps. D'aucun(e)s se sont ému(e)s de ce silence, ce qui fait forcément plaisir. La raison en est fort simple, je travaillais. Je ne vais pas me plaindre, après tout, c'est le lot de presque tout le monde, à part 10% de chômeurs et quelques bienheureux baby boomers qui ont la chance d'être à la retraite (et surtout de pouvoir la toucher).

Je profite donc d'une petite fenêtre pour poster ces quelques lignes. En parlant de fenêtre, comme vous le voyez, Savannah adore jouer les concierges depuis celle de notre beau bureau tout neuf. Nécessité faisant loi, je me suis finalement accommodée de ma situation, à savoir retravailler de chez moi.

Nous avons profité des ponts du mois de novembre et des vacances de Noël pour transformer deux petites chambres d'enfants en un grand bureau. Quand on n'a pas trop le moral, s'atteler à des travaux manuels c'est fou le bien que cela procure ! Casser un mur même si ce n'est que du placo, jouissif ! Remonter une cloison dans une vieille maison où tout est de guingois, téméraire ! Décider de tout recouvrir de lambris, fastidieux ! Le BA 13 n'a plus de secret pour moi, pas plus que le mandrin ou le fil à plomb. J'ai gagné mes galons d'arpette et mon homme, son casque de chef de chantier.

Mais le jeu en valait la chandelle, j'ai un cadre de travail agréable, une belle pièce claire et confortable, de la place pour m'étaler et l'énorme avantage par ces jours de grands froids de pouvoir rester bien au chaud. Globalement, j'ai l'impression que les conditions de travail se dégradent autour de moi.

Une de mes anciennes collègues m'a sollicitée récemment pour un témoignage. Elle a été licenciée pour faute grave sous un faux prétexte d'une manière très violente. Un huissier est venu saisir son ordinateur portable et elle a eu une demi-heure pour rendre ses clés et son mobile avant de se retrouver hors de la boîte pour laquelle elle s'était donnée sans compter ... pendant six ans.

Mon cousin, la cinquantaine bien sonnée, en est au 5ème ou 6ème plan social de sa PME rachetée par une multinationale. On leur enjoint à lui et à ses collègues de faire comme si de rien n'était, de rester mo-ti-vés alors qu'à chaque fois, ils se demandent qui va se retrouver dans la prochaine charrette.

Les 93 ouvrières de Lejaby (une excellente marque de soutien-gorges à laquelle personnellement j'étais fidèle...) ont eu de la chance dans leur malheur, voir leur combat devenir une cause nationale grâce à la campagne présidentielle. Mais pour les autres, les Contis, les Sea France, les Motorola de Rennes, pas de quartiers ! Au fond, j'aime mieux encore ma petite entreprise. En espérant qu'elle ne connaîtra pas la crise.

lundi 9 janvier 2012

Ah mon beau château

Depuis un peu plus d'un mois, j'écris des textes pour un site institutionnel de tourisme. Mon terrain d'action : les châteaux viticoles du Bordelais. Je m'empresse d'ajouter que je ne me déplace pas, hélas, mon voyage est surtout virtuel. Je fais des recherches sur les sites des propriétés - quand ils existent - dans les guides touristiques ou je lis des revues spécialisées.

Je n'écris pas pour le Parker, mes connaissances œnologiques sont bien trop sommaires, non, je dois juste rédiger une douzaine de lignes pour donner à l'internaute l'envie d'aller voir sur place. Cela dit, j'apprends plein de choses et comme je vis dans la seule ville au monde dont le nom est associé au vin, ça tombe plutôt bien. Aux beaux jours, je compte bien aller sur place vérifier ce que j'ai raconté. Savez-vous que le nom de château est réservé au Bordeaux ?

Ce qui crée souvent un malentendu. Pour quelques vrais châteaux, au sens architectural du mot, qui datent du temps où les anglais vendangeaient l'Aquitaine, c'est-à-dire pendant trois siècles avant qu'ils ne soient boutés hors de France, la plupart ne sont que des exploitations vinicoles. Au début du XVIIIe siècle est apparue la "chartreuse", une sorte de maison de campagne au milieu d'un vignoble, qui est à l'Aquitaine ce que la "bastide" est à la Provence ou la "folie" à l'Ile de France.

Toujours basses, souvent en pierres blanches, avec des toits de tuile ou d'ardoise, certaines sont ravissantes surtout quand elles sont entourées d'élégants jardins à la française et cernées par les vignes. Depuis peu, de grands architectes contemporains s'intéressent aussi aux châteaux et il n'est pas rare qu'une sorte de vaisseau futuriste émerge du vignoble. Ricardo Bofill a créé un chai octogonal à l'allure de cathédrale au château Lafite-Rothschild tandis que Christian de Portzamparc a dessiné à Cheval-Blanc un chai qui me fait penser à une énorme vague sur l'océan.

Mais en dehors de l'aspect architectural, il est une chose qui me passionne dans ce travail, c'est le côté humain. Raconter de belles histoires de familles, parler de ces vignerons passionnés qui se transmettent de génération en génération - jusqu'à huit parfois ! - leur amour du vin et le goût du travail bien fait, j'adore ça. Parfois, la demeure n'a aucun intérêt, le château n'a de château que le nom, le vin n'est ni un grand cru classé ni un grand cru bourgeois mais c'est vers ces gens que j'ai envie d'aller, juste parce que ce que leur philosophie de la vie me plaît ...